BOTSWANA / Après sa démission spectaculaire :Ian Khama entre dans l’histoire
Le 1er avril 2018, le Botswana s’est doté d’un nouveau chef d’Etat en la personne de Mokgweetsi Masisi. Cela, à la suite de la démission du Président Ian Khama. Alors que les projecteurs devraient être normalement braqués sur le nouvel homme fort du pays, c’est l’ex-président qui est devenu un monument que toute l’Afrique cite désormais. Et pour cause…
Inconnu jusqu’alors de la majorité des Africains, l’ex-président du Botswana est parvenu, par un simple acte légal mais peu ordinaire sur le continent, à se frayer une place au panthéon des dirigeants africains pour qui le pouvoir n’est pas une fin en soi. Il a démissionné après deux mandats de cinq ans. Mais de quelle manière ? En effet, l’attitude chevaleresque qu’a eue le président Khama fera date en Afrique. Tant elle tranche avec celles de ses pairs qui s’accrochent au pouvoir par tous les artifices possibles.
L’ex-président Botswanais a rendu le tablier non pas forcément au terme de son mandat mais à plus de dix-huit mois de sa fin constitutionnelle. Sur le continent, cette démission a été saluée comme un acte de haute portée politique en ce sens qu’il redonne un peu de dignité à l’Afrique dont les dirigeants sont réputés être des dinosaures lorsqu’ils arrivent au pouvoir.
Et pourtant, ce ne sont pas les arguments qui manquaient à cet homme pour s’éterniser au pouvoir en rusant avec la Constitution de son pays. En effet, l’ex-président aurait pu jouer sur la légitimité historique de sa famille biologique pour tenter de se maintenir au pouvoir. Son géniteur est, on ne le dit pas assez, le père de l’indépendance du Botswana.
Au plan économique, son pays est l’un des plus prospères d’Afrique et jouit d’une image saine dans le monde en dépit des diamants qu’il produit et qui attire tous les prédateurs en la matière. 3ième producteur de Diamant au monde, le Botswana est désigné comme étant le pays le moins corrompu du continent africain. Durant 30 ans, le pays a eu une croissance forte autour de 9% et ne figure plus depuis 1994 dans la liste des pays les moins avancés. Le pays diversifie son économie, notamment à travers l’exportation de viande bovine et le tourisme de luxe. Plus de 200 000 personnes travailleraient dans le domaine touristique.
Autant d’atouts qui auraient donné d’autres idées à d’autres dirigeants africains
Mais à 65 ans, l’ex-président a estimé devant des milliers de partisans en pleurs qui lui demandaient de rester que sa vocation n’a jamais été de devenir un homme politique. S’expliquant sur son avènement sur l’échiquier politique, il a fait savoir que c’est à la suite d’une pression intenable de son prédécesseur Festus Mogae qu’il a dû se résoudre à diriger le pays. « J’étais un soldat, je n’avais aucun intérêt à entrer en politique », a-t-il asséné devant des partisans médusés dans le village natal de son père.
A la tête d’un pays discret de par son nombre d’habitants (2.2 millions) dont la stabilité politique et économique devrait servir d’exemple aux autres Etats africains, cet ancien soldat (il était un officier dans l’armée de l’air) n’avait pas sa langue dans sa poche lorsqu’il s’agissait de fustiger certains dirigeants africains accrochés inlassablement au pouvoir.
Rompant avec la langue de bois en cours sur le continent, Ian Khama ne s’était pas gêné pour dénoncer la posture de Joseph Kabila en République Démocratique du Congo. « Nous continuons d’assister à une crise humanitaire qui empire dans ce pays principalement parce que son dirigeant a sans cesse repoussé la tenue d’élections », avait-il martelé dans un communiqué officiel en date du 26 février 2018.
En novembre 2017, l’ex-président s’en prenait ouvertement à l’ex- président Mugabé dont il dénonçait la longévité au pouvoir. Face aux hésitations de Mugabé à partir après le coup de force de l’armée, il déclarait sans prendre de gants : « personne ne devrait rester président pendant une si longue période. (…) Nous sommes des présidents, nous ne sommes pas des monarques. C’est simplement du bons sens ».
A l’international, il avait aussi son mot à dire sur les grandes questions notamment d’ordre environnemental. A ce sujet le 16 mars, Ian Khama avait fustigé la décision des États-Unis d’autoriser l’importation de trophées de chasse. « Je pense que cette administration sape nos efforts et encourage aussi le braconnage, car elle sait que nos lois interdisent la chasse au Botswana [depuis 2014] », avait-il lancé.
Dans un continent où certains Chefs d’Etat viennent de se faire élire à plus de 95% des suffrages, où d’autres manœuvrent pour ne jamais partir en modifiant les constitutions à leur guise, la démission du Président Ian Khama redonne une lueur d’espoir. Tous les dirigeants africains ne sont pas les mêmes. On ne parle que lui depuis sur le continent. Et ironie du sort, il sort de l’anonymat au moment où il quitte le pouvoir.
En dépit de leurs tristesses, ses partisans ont fini par se résoudre à respecter sa décision. Ils lui ont offert 143 vaches, de centaines de poulets, et un véhicule 4×4. Tout un symbole.