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December 2, 2024
POLITIQUE

PETITION CONTRE L’AMBASSADEUR DE FRANCE AU CAMEROUN : ATTENTION A NE PAS SE TROMPER DE CIBLE

  • mai 22, 2020
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PETITION CONTRE L’AMBASSADEUR DE FRANCE AU CAMEROUN : ATTENTION A NE PAS SE TROMPER DE CIBLE

Une pétition circule dans les réseaux sociaux, réclamant la démission de l’ambassadeur de France au Cameroun, M. Christophe Guilhou.

Elle a la forme d’une “Lettre Ouverte au Président Emmanuel Macron et pétition pour le retrait immédiat de M. Christophe Guilhou Ambassadeur de France au Cameroun”. Son objet est : ”Protestation citoyenne et demande de relève immédiate de ses fonctions de l’ambassadeur de France au Cameroun, M. Christophe Guilhou.”

Datée du samedi 18 avril 2020 et faite à Yaoundé, Paris, Bruxelles, Washington, Londres et Berlin, elle a pour sept premiers signataires : Le collectif diasporique camerounais, le conseil camerounais de la diaspora, Éveil citoyen, l’association Change With Women, Le CODE, ASBL, le Mouvement de Février 2008.

En quelques semaines, la pétition a eu un certain succès puisque près de 30 000 signatures ont déjà été recueillies au moment où le présent article est écrit, et les chiffres semblent en train de progresser.

Que dit la pétition ? Que reproche-t-on à l’ambassadeur Guilhou? Il suffit de lire la pétition.

Au départ, il y a une vidéo de la CRTV, télévision publique du Cameroun, montrant le président camerounais, Paul Biya, en train de recevoir l’ambassadeur, le jeudi 16 avril 2020.

Biya avait disparu depuis plus un mois. Malgré l’explosion de la pandémie mondiale du Covid 19, et que le Cameroun soit en Afrique l’un des pays les plus affectés, Biya n’a montré aucun signe de vie. Les Camerounais ne l’ont ni vu, ni entendu. La rumeur de sa mort a circulé.

La pétition déclare :

“(…) le chef de l’État de facto du Cameroun, M. Paul Biya, autocrate âgé de 86 ans, dont 38 passés à la tête du pays, a disparu sans explications de l’exercice de ses fonctions depuis le début mars 2020. Le Peuple Camerounais, aujourd’hui confronté comme tous les autres peuples de la planète à la pandémie du Covid 19, a été abandonné à lui-même par celui-là même qui, en raison de ses responsabilités, aurait dû mener, en commandant en chef véritable, la guerre sanitaire qui s’impose contre ce grave péril. (Pièce n°1) [1]. À l’heure qu’il est donc ce 18 avril 2020, nul ne peut donc affirmer avec certitude que M. Biya est mort, ni qu’il est réellement vivant, ou qu’il est plutôt entre la vie et la mort.”

La pétition continue :

“Cette grave défaillance du président en exercice de la République, ajoutée à l’illégalité et à l’illégitimité des pouvoirs qu’il s’est octroyés au Cameroun depuis 1982, est venue rendre nécessaire le constat de la vacance du pouvoir présidentiel et la nécessité de convoquer d’urgence de nouvelles assises de refondation du pacte républicain camerounais, avec entre autres objectifs : la rédaction et la promulgation d’une nouvelle constitution consensuelle résolvant le problème anglophone et la crise démocratique chronique dans le pays ; la mise sur pied d’une véritable Commission Electorale Indépendante en lieu et place de l’organisme ELECAM, entièrement inféodé au régime quarantenaire ; reconnaissance complète et sans discrimination de la double nationalité des plus de 3 millions de Camerounais de la diaspora ; l’organisation de nouvelles élections présidentielles, législatives et municipales véritablement ouvertes à tous, démocratiques, transparentes et exemplaires dans ce pays qui n’en a jamais connues.”

Comme les pétitionnaires contestent la légitimité de Biya, ils parlent de lui comme le président “de facto” ou “de fait”, par opposition au président-élu, Maurice Kamto. Le résultat de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018 au Cameroun reste à ce jour contesté. Le résultat officiel a déclaré Biya élu avec plus de 71%. Les preuves de cette victoire n’ont jamais été montrées, notamment les procès-verbaux que Kamto et ses avocats ont réclamés lors de leur recours à la Cour Constitutionnelle du Cameroun.

Kamto et son équipe parlent depuis lors de hold-up électoral. En janvier 2019, il a organisé une marche pacifique qui présentait trois revendications : la vérité sur l’élection présidentielle, la fin de la guerre dans la région dite anglophone du pays, et la vérité sur de massifs détournements de fonds publics.

Ces détournements concernent les marchés de préparation de la Coupe d’Afrique des Nations de football que le Cameroun devait organiser, mais qui a finalement été jouée dans un autre pays, à cause des graves retards du Cameroun dans la construction des infrastructures.

La manifestation a été violemment réprimée. Kamto et plusieurs centaines de ces partisans ont été arrêtés, jetés en prison où ils sont restés neuf mois. Le climat politique camerounais est depuis lors tendu, entre d’une part le président “de facto”, et le président “élu”, Maurice Kamto.

Les foules camerounaises qui se déplacent à chaque sortie de Kamto, laissent supposer que ce dernier jouit d’une popularité largement supérieure à celle de Biya. De toute sa carrière de près d’un demi-siècle, jamais Biya n’a eu l’assentiment populaire que l’on voit chaque fois que Kamto sort, au Cameroun ou à l’étranger. Biya est un président secret, qui ne tient jamais de conseil de ministres, aucun meeting populaire ; qui ne rencontre jamais la foule, sauf si un important service armé la tient à distance. Des heures avant que Biya passe par une rue, tout est bloqué, portes et fenêtres des maisons doivent être fermées.

Biya est souvent absent de la capitale, vivant reclus dans son village, M’vomeka. Quand il n’y est pas, il est souvent à l’étranger, de préférence en Suisse où il peut rester plusieurs mois en séjour privé. Ses compatriotes ne voient en moyenne que quelques fois par an, à la télévision, lors de ces discours de fin d’année, de la fête de la jeunesse (11 février), et de la fête nationale (20 mai).

Avant, on le voyait aussi lors de ses départs pour la Suisse ou à ses retours. Mais, en juin 2019, la Brigade Anti-Sardinards (BAS), une organisation de la diaspora camerounaise en Europe a organisé à l’Hôtel Continental de Genève où Biya séjournait, une manifestation qui a tourné en une quasi-émeute dans une partie de Genève. Les autorités suisses ont obtenu le départ anticipé de Biya de l’hôtel et de Suisse. Depuis lors, Biya est privée de Suisse, et de son hôtel Intercontinental où, dit-on, il occupait tout le 6e étage pendant des mois, naturellement aux frais du contribuable camerounais, dans un pays où l’appauvrissement des populations choque la conscience.

Comme Biya était invisible depuis très longtemps, et que le seuil constitutionnel de constat de vacance approchait, Maurice Kamto, qui déclare avoir battu Paul Biya aux élections présidentielles du 7 octobre 2018, a pris l’initiative de demander ce constat. Après avoir exposé sa démarche aux Camerounais, il l’explique dans la lettre de protestation datée eu 18 avril que, président du MRC (Mouvement pour la Renaissance du Cameroun), son parti politique, il envoie à Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères de la République française. Kamto écrit :

“Devant l’absence persistante et inexpliquée de M. Biya, j’ai adressé au président de l’Assemblée nationale, le 13 avril, une requête sur la base des dispositions de l’article 38 de la loi de 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel, lui demandant de saisir ce dernier aux fins de constater la vacance de la Présidence de la République.”

Le timing est très important ici. L’absence de Biya se prolongeant, le président de l’Assemblée du Cameroun, bien que chaud partisan de Biya, était sur le point d’être forcé par la loi à saisir le Conseil constitutionnel pour que celui-ci constate la vacance du pouvoir.

C’est alors que l’ambassadeur Guilhou fait irruption avec sa fameuse rencontre du 16 avril avec Biya. Kamto dénonce cette irruption comme un “Ce comportement scandaleux et outrageant”. D’abord, il décrit à Le Drian ce qui s’est passé :

“Alors que l’absence prolongée de M. Paul BIYA était au centre de tous les débats nationaux, et que les médias internationaux commençaient à en faire écho, la télévision nationale a servi, le 16 avril, des images mettant en scène M. BIYA recevant en audience l’Ambassadeur de France au Cameroun, Monsieur Christophe Guilhou. D’après bon nombre d’experts, ces images seraient le fruit d’un grossier montage, ce qui signifierait que M. BIYA demeure introuvable à ce jour, alors que le pays fait face à un péril sanitaire. “

De nombreux Camerounais au Cameroun, et encore plus dans la diaspora, affirment que la vidéo de la rencontre Biya-Guilhou est un montage. L’un des plus actifs membres de cette diaspora, initiateur de la pétition, est le Professeur Franklin Nyamsi wa Kamerun, qui réside en France. Ses vidéos sur YouTube battent des records de popularité dans la sphère camerounaise. Partisan de Kamto, il est particulièrement virulent contre l’ambassadeur Guilhou.

Dans sa lettre, Kamto continue :

“Tandis que l’on s’attendait à ce que M. BIYA s’adresse personnellement et directement aux populations camerounaises, c’est M. Guilhou qui a livré aux Camerounais, au perron du palais présidentiel, les détails qui sont attendus du Président en fonction du Cameroun sur divers aspects de la lutte contre la pandémie du coronavirus dans mon pays. De fait, il apparaît manifestement que l’Ambassadeur de France au Cameroun est allé porter secours à M. BIYA par ses déclarations. En effet, l’Ambassadeur Guillou a allégué notamment d’une superbe forme de l’intéressé, comme si un des buts de toute cette manœuvre était de montrer non seulement que M. BIYA est toujours aux commandes de l’État, mais aussi qu’il est bien portant et apte à poursuivre l’exercice des fonctions présidentielles. De plus, l’Ambassadeur de France projette de s’adresser aux populations

camerounaises demain, 19 avril, dans le cadre d’une émission de grande écoute, à la télévision nationale, CRTV. “

Puis il dénonce l’ingérence de l’ambassadeur français dans les affaires internes du Cameroun, parle de “suffocation de la démocratie au Cameroun”, et pose deux questions à celui qui est le patron de l’ambassadeur :

“Une telle ingérence, qui va clore ou prolonger le tour du propriétaire qu’il a fait après la fameuse audience, notamment auprès du Premier Ministre et du Ministre de la Recherche scientifique et de l’Innovation, pour continuer de dérouler les mesures que l’on attendait du chef de l’État en fonction est inadmissible ; elle vise à suffoquer la démocratie au Cameroun en étouffant l’expression libre des populations.

“Devant ce tableau, vous comprendrez l’indignation profonde des Camerounais qui sont choqués par ces agissements de l’Ambassadeur de France, et qui l’expriment avec véhémence dans les réseaux Sociaux.”

Voici les deux questions :

“Ce comportement scandaleux et outrageant de l’Ambassadeur Guilhou amène à poser un certain nombre de questions : Agit-il au nom de la France ? Dans l’affirmative, les conclusions à en tirer tomberaient sous le sens. Agit-il à titre personnel ? Auquel cas, il reviendrait aux autorités françaises d’en tirer les conséquences.”

Kamto est dans son rôle de “président-élu”, de juriste expérimenté, quand il écrit le 13 avril au président de l’Assemblée du Cameroun, en vue du constat de vacance de pouvoir. Il est encore dans son rôle quand il écrit au ministre français des affaires étrangères pour dénoncer le comportement de l’ambassadeur Guilhou.

Les pétitionnaires camerounais sont aussi dans leur rôle quand ils lancent leur attaque contre l’ambassadeur.

Mais, tous ne doivent pas se tromper de cible. Un ambassadeur est un messager entre son Chef d’État, son véritable patron, et le Chef d’État du pays où il est accrédité. Il ne faut donc pas prêter à l’ambassadeur Guilhou plus de péchés qu’il n’en a commis.

Emmanuel Macron, président de la République française, est le patron de l’ambassadeur Christophe Guilhou. Paul Biya, président de la République du Cameroun, est le Chef d’État du pays de fonction de l’ambassadeur.

M. Guilhou n’est qu’un intermédiaire entre ses deux hommes. Il est un diplomate de grande expérience. Il connaît bien l’Afrique, où son père fut ambassadeur. Il y a peu qu’il est arrivé au Cameroun, mais par son sens du contact, et ses nombreux déplacements dans tous les coins du pays, y compris dans la partie anglophone, il a montré sa volonté de renouveler les relations entre la France et le Cameroun. Il ne faut donc pas se tromper de cible. Il ne faut pas tirer sur l’ombre en laissant l’animal tranquille.

Réclamer la démission de l’ambassadeur comme la pétition le fait, est au mieux une perte de temps, sinon une diversion. Seuls le président français et son homologue camerounais peuvent démettre l’ambassadeur de sa fonction.

Or, le messager qu’est l’ambassadeur Christophe Guilhou n’a manqué à aucune de ses obligations vis-à-vis de ces deux présidents. Dans les conditions actuelles, il est impensable que Biya récuse Guilhou. Il est encore moins probable que Macron le démette.

Si Guilhou a rencontré Biya comme il l’a fait, s’il s’est laissé filmé par la CRTV, s’il a répondu à la presse après sa rencontre controversée, réelle ou virtuelle avec Biya, s’il a ensuite donné une interview à la CRTV, il l’a fait en exécution d’une part des instructions de sa hiérarchie directe, le ministre français des affaires étrangères, Yves Le Drian à qui Maurice Kamto a écrit, et de d’autre part, de l’ordre de mission que lui a remis son patron de dernier ressort, le président Emmanuel Macron.

Ce n’est pas Yves Le Drian qui répond à Kamto. Le ministre français demande au directeur du département Afrique et Océan Indien de son ministère de le faire. Juriste précis, Kamto avait écrit une lettre argumentée de trois pages.

C’est une courte missive de quatre petits paragraphes tout en formules bureaucratiques sur un ton lapidaire qu’il reçoit. Tu peux toujours causer, dit en substance la France à l’opposant camerounais, le gouvernement français soutient et soutiendra toujours Biya, que ce dernier soit mort ou vivant, que cet homme de 87 ans soit sénile ou lucide. La missive le laisse entendre, la France continuera

à soutenir celui qui est au pouvoir au Cameroun depuis 1982, il y a 38 ans, quand Mitterrand commençait son premier mandat de président français.

Que Biya soit dictateur ou démocrate, ou tout ce que vous voulez, l’État français confirme son soutien au “meilleur élève de la France”, comme Biya se définit lui-même.

La missive est datée du 29 avril 2020. Rémi Maréchaux, le directeur qui la signe, confirme lui, le double soutien de la hiérarchie directe et du patron de dernier ressort à l’ambassadeur Christophe Guilhou

“Monsieur Christophe Guilhou a donc agi à la demande des autorités françaises, en conformité avec les usages diplomatiques et dans le strict respect de la souveraineté du peuple et de l’État camerounais”.

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Hommes d'Afrique Magazine

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