Armand Gauz, Ecrivain ivoirien « Mes goûts littéraires sont des sables mouvants qui avalent tout ce qui leur tombe dessus »
Il fait partie de la nouvelle génération d’écrivains africains qui montent en puissance, mais pas seulement. Il est du rang des écrivains africains qui sont puissants. De par leurs œuvres, leur phrasé, un champ lexical original et leur ancrage africain, ces écrivains font montre d’un talent que seuls les doués peuvent revendiquer.
Dans le cas de l’écrivain Armand Gauz, de son vrai nom Armand Patrick Gbaka-Brédé, cela est d’autant vrai que le véritable premier coup d’essai fut un coup de maître. Son livre « Debout-Payé » a été un succès en France en 2014 (meilleur roman de l’année). La manière particulière avec laquelle, il aborde des faits sociaux dans ce livre lui a valu le Prix des libraires Gibert Joseph avec plus de 50.000 exemplaires écoulés… Dans ce registre, on peut citer également le Prix Kaïcédra des Lycées et Collèges en 2015.
Avec son second roman « Camarade Papa », il a confirmé tout le bien qui était dit de lui depuis 2014. En 2018, il obtient le Prix Ivoire et le Grand Prix National Bernard Dadié. En 2019, il est concomitamment avec le Camerounais Timba Bema, lauréat du Grand Prix Littéraire d’Afrique noire avec son « Camarade Papa ». Une critique subtile mais franche et sans détours du fait colonial mais aussi des problèmes de l’immigration africaine vers l’Europe.
Biochimiste de formation, l’écrivain au parcours atypique a été rédacteur en chef d’un journal économique à Abidjan avant de se retrouver vigile en France, photographe et avant de se caser en romancier à succès.
Dans la lignée des romanciers ou des littéraires venus des autres sciences, vous êtes un cas. Comment vous est venue cette passion pour l’écriture ? Décrivez ce parcours atypique.
Cette question est probablement motivée par l’idée que les savoirs et leurs expressions sont compartimentés en disciplines étanches, que chacun devrait se tenir dans une sorte de carré intellectuel prédéterminé par son parcours scolaire. Ça marche peut être pour avoir le droit de se faire exploiter par un patron dans une entreprise, mais ce n’est pas le reflet de la réalité des intelligences que nous sommes tous en réalité. Il n’est pas si atypique qu’un « scientifique » fasse de la littérature ou bien soit romancier.
Les exemples foisonnent dans en Afrique et ailleurs. Amadou Kourouma était actuaire et c’est lui qui a créé la CICA-RE, l’assureur des assureurs en Afrique. Son « Les soleils des indépendances » a révolutionné l’esthétique littéraire africaine et m’a fait comprendre que la liberté du style est au service d’une histoire. Emmanuel Dongala est professeur de chimie à l’université, mais aussi professeur de littérature. Son « Jazz et vin de palme » a transformé a durablement influencé ma conscience politique et la façon de la traduire en texte. Les exemples sont pléthores.
Ma littérature n’est pas « venue des autres sciences » comme formulé si maladroitement. Elle est le fruit de ma science, de mon sens de la vie. Au collège, je ne vivais pas avec mes parents. J’ai commencé à écrire en m’adressant à ma mère pour lui donner des nouvelles de ma vie à l’internat. Je savais qu’elle lisait mes lettres en public à mes frères et sœurs. J’ai vite appris à parler à tous à travers une seule personne… Entre ma famille et le monde, il n’y a qu’un pas que mon parcours de vie m’a permis de franchir.
Pour écrire et vivre de l’écriture, peut-on demeurer habituellement sur le continent africain, dans la mesure où vos talents et votre succès ont été d’abord reconnus à l’international avant qu’ils ne touchent vos compatriotes ?
C’est le résultat d’un « accident » de mon histoire personnelle si mes œuvres sont publiées en France. Ce n’est pas le fruit d’une stratégie particulière. Je pense qu’il est possible de vivre de l’écriture en demeurant en Afrique. Cela dépend de ce que l’on met dans vivre. Si ton but est de posséder un de ces horribles immeubles à 4 étages de Angré (sous-quartier de la commune huppée de Cocody à Abidjan) ou de la Palmeraie (sous-quartier de la commune huppée de Cocody à Abidjan), rouler en Range Rover et festoyer à Assinie (station balnéaire abritant des villas cossues pour les riches de la Côte d’Ivoire), il est évident qu’il est plus indiqué de chercher à devenir homme politique africain plutôt qu’écrivain.
Moi, je vis principalement du sens que revêt tout ce que je fais. J’ai beaucoup de chance de ne pas dépendre des rentes de mes livres pour me sentir heureux. Je paye un loyer modeste, je m’occupe de mon entourage, je bois du koutoukou (boisson forte obtenue par la fermentation de vin de palme) ou des bières quand j’en ai envie, je voyage beaucoup et partout en Côte d’Ivoire et dans le monde. Je me considère comme un milliardaire du sens de la vie. Et ça, ça me vient du fait que je vis ici.
Auteur prolixe et engagé, quels sont vos centres d’intérêt dans la littérature et qui doit et peut lire vos romans ? Avec le raffinement linguistique qui est le vôtre, pensez-vous être accessible et perceptible pour le ‘’ petit peuple’’ ?
Heureusement, ce n’est pas moi qui choisis le lecteur, mais c’est lui qui me choisit. Il le fait en fonction de ce qu’il peut lire, ce qu’il veut lire, au moment où il le veut et dans les conditions qu’il souhaite le lire. Le petit peuple n’existe que dans le fantasme des politiciens et des affairistes qui l’exploitent. Nous avons tous exactement la même intelligence et la même capacité de compréhension (sauf accident génétique ou maladie). Je crois sincèrement que l’intelligence est la chose la mieux partagée au monde. Alors, je fais confiance à l’intelligence du lecteur. Ce que vous appelez pompeusement « raffinement », pour moi c’est de la paresse intellectuelle puisque je n’ai besoin que d’un demi-mot pour me faire comprendre. Le lecteur fait la moitié de mon boulot donc. Il faut respecter l’intelligence du lecteur, de tous les lecteurs.
Quels sont vos référents en matière d’écriture en Côte d’Ivoire, en Afrique et dans le monde ?
Mes goûts littéraires sont des sables mouvants qui avalent tout ce qui leur tombe dessus. Je lis tout, même des auteurs que je n’aime pas. Un mauvais bouquin, comme un bon bouquin, peut devenir une référence pour le lecteur que je suis. Ne serait-ce que pour dire « voilà ce qu’il ne faut pas faire ». Désigner d’un doigt un mauvais livre est une façon de montrer des livres géniaux avec les 9 doigts qui restent.
Quel est le but ultime en matière de notoriété et de reconnaissance que vous vous fixez en embrassant cette carrière de romanciers ?
La notoriété est le moteur de la vanité. La rechercher est le naufrage de toute intelligence. Je ne me suis fixé aucun but autre qu’un jour écrire la phrase parfaite, celle qui réussira à refléter parfaitement et totalement sur le papier (ou l’ordinateur) une idée que j’ai dans la tête. J’y travaille.
Peut-on vivre décemment de l’écriture de romans en Afrique ? Sinon, quelles solutions proposez-vous pour que les écrivains ivoiriens et Africains sortent de la clochardisation ?
J’ai répondu partiellement à cette question plus haut. Je n’ai encore jamais rencontré un écrivain ivoirien clochard, jamais. Contrairement à moi, ils ont presque tous un métier autre que celui d’écrivain. C’est moi qui suis menacé de clochardisation si je me loupe à une sortie de livre puisque je ne fais que ça. Je pense sincèrement que nous n’avons pas le même type d’engagement à cause de cette différence. Pour que les écrivains vivent de l’écriture, il faut simplement que les Ivoiriens lisent et comprennent la valeur de la littérature. Il n’y a pas de solution miracle. Ça va passer par un travail d’éducation populaire, dans les écoles et en dehors. Le chemin est long, une intelligence collective nationale ne se bâtit pas en deux jours.
Vous êtes un critique de l’actualité africaine. À ce titre, il vous arrive de donner des points de vue quotidiens à travers les réseaux sociaux. Selon votre analyse, comment va l’Afrique en 2020, au triple plan politique, économique et social ?
Contrairement à ce que vous pouvez imaginer, je ne me prends pas du tout au sérieux sur les soi-disant « réseaux sociaux ». Je ne pense pas que ce que j’y exprime va fondamentalement bouleverser le monde ou peut changer quoi que ce soit. Je rigole beaucoup, j’expérimente des traits de langage, je prends le pouls d’une certaine partie de la société (elle est toute petite cette partie, contrairement à ce qu’on peut imaginer), je provoque, je titille, je ridiculise même parfois, mais je sais que ça ne va jamais aller très loin. Les fenêtres de Twitter ou Facebook sont étriquées et réductrices. Elles représentent au mieux un état d’esprit individuel, mais jamais elles n’expriment un véritable pensé. Pour connaître ce que je pense du monde, il faut lire mes livres, regarder mes photos ou mes films, écouter mes paroles etc. J’ai de nombreux et puissants moyens d’expression.
L’Afrique organisera une vingtaine d’élections présidentielles en 2020, sauf changement de dernière minute. Les élections n’étant pas des occasions de grande tranquillité politique, comment voyez-vous les suites desdits scrutins, à l’aune des différents contestations sur les organes en charge de les organiser ?
Les contractions que nous ressentons sont les signes annonciateurs d’une naissance, voire une renaissance. Elles peuvent être douloureuses en certains endroits, mais ayez confiance en la santé de la mère.
Pour finir, quels conseils, Gauz pourrait donner à des jeunes Africains, férus d’écriture et qui voudraient suivre ses pas ?
Un seul conseil : LISEZ