« Si les gouvernants de demain le veulent, Madagascar peut vraiment être un pays leader »
Hommes d’Afrique: Vous terminez actuellement votre travail dans le cadre de la transition politique quel est, l’état des lieux économiques de Madagascar ?
Omer beriziky: Effectivement, nous venons, vendredi20 décembre, de terminer une étape importante dans le processus de sortie de crise de Madagascar. Je dis étape importante parce que ce n’est pas encore l’étape ultime. Celle-ci viendra le jour de la passation de service avec le nouveau Premier Ministre qui sera issu de ses élections. Déjà pour moi, c’est une victoire, je dirais. Peut-être pas une victoire personnelle mais une victoire de l’équipe gouvernementale: nous avons réussi avec les autres institutions de la transition le défi détenir ces élections.. Voilà ce que je peux dire d’abord. Concernant votre question sur le bilan économique, politique même, mon souhait est de pouvoir partir le plus tôt possible pour que la nouvelle équipe gouvernementale puisse mettre en pratique son programme de gouvernance. Je peux vous dire en très peu de mots, qu’en matière économique, ce bilan est tout à fait négatif. Négatif dans le sens où le secteur primaire est en déclin. La production du riz, l’aliment de base des Malgaches acheté de façon dramatique suite aux sécheresses dans la partie nord du pays, aux criquets migrateurs qui ont sévit dans le sud, le moyen-est et le centre du pays. Madagascar, autrefois grand exportateur de riz, est condamné aujourd’hui à en importer. C’est vraiment difficile à croire!. A ces cataclysmes naturels, s’est ajoutée la crise. Celle-ci a eu des impacts très négatifs sur la vie des Malgaches en général, particulièrement sur les productions agricoles. Cependant, il y a des secteurs qui semblent renaître un peu. Par exemple la pêche, grâce notamment à l’accord de pêche avec l’Union Européenne, et aux résultats positifs des évaluations vétérinaires de l’UE. Vous savez que les crevettes de Madagascar font partie des produits les plus prisés en Europe. Dans le secteur secondaire, l’effet de la crise est ressenti partout. La crise a aussi des conséquences désastreuses sur les investissements industries mais également au niveau du commerce. La balance commerciale de Madagascar n’a pas cessé de chuter. Elle est très déséquilibrée aujourd’hui.
Hommes d’Afrique: Quel est le niveau du déséquilibre ?
Omer beriziky: Je n’ai pas les chiffres exacts mais je pense que nos importations dépassent de 70% nos exportations. C’est très dommage! Beaucoup de zones d’industries, de zones franches ont fermé. En matière d’emploi aussi, c’est aussi grave. Madagascar a perdu beaucoup d’emplois. La crise s’est aggravée quand les Américains ont supprimé ou plutôt suspendu l’accord de l’AGOA avec nous. Donc un nombre important de salariés, du jour au lendemain se sont retrouvés chômeurs. . Il y a eu une augmentation très importante du chômage à Madagascar.
Hommes d’Afrique: De quand date cette suspension de l’AGOA ?
Omer beriziky: De 2009…. Il y aussi un autre domaine sur lequel le prochain gouvernement doit se focaliser. Nous ne sommes pas arrivés à lutter contre cela. Il s’agit de l’économie parallèle. Cette économie parallèle détruit l’économie formelle.
Hommes d’Afrique: Quand vous dites “économie parallèle”, parlez-vous de ce qu’on appelle “l’économie informelle”?
Omer beriziky: Oui bien sûr, l’économie informelle. Mais il n’y a pas seulement le commerce informel. Quand je dis “économie parallèle”, je pense aux trafics en tous genres, aux trafics des richesses du pays: trafics de bois de rose, de bois précieux, des pierres précieuses, etc., au vu et au su de tout le monde. Les richesses naturelles du pays partent dans une économie que je qualifie de parallèle. Il n’y a rien qui rentre dans les caisses de l’État et rien ne revient ni aux régions d’origine ni aux populations. Et tout cela n’a pas pu être maîtrisé à cause de la déliquescence de l’autorité publique. Cette déliquescence est due justement à la gestion même de la transition.
Hommes d’Afrique: Comment cela ?
Omer beriziky: Une gestion bicéphale dont une tête est plus grande, plus grosse que l’autre…
Hommes d’Afrique: Pourriez-vous préciser ?
Omer beriziky: Je veux parler de la présidence de la transition. Les décisions que nous prenons au niveau de la primature pour lutter contre la corruption et les trafics des richesses naturelles du pays, et même du patrimoine national, sont contrées par la présidence. Évidemment, nous ne pouvons constater que les dégâts. Il y a une mafia dont les tentacules partent de la présidence et s’étendent jusqu’aux populations dans les régions. C’est très dommageable pour l’économie, très dommageable. Voilà donc ce que je peux dire très brièvement à propos de cette économie parallèle, de cette gouvernance qui malheureusement n’a pas véritablement répondu aux vœux que j’avais formulés quand je suis arrivé il y a deux ans à la tête du gouvernement et que j’avais réuni tous les responsables, les grands corps de l’État, pour élaborer une stratégie de bonne gouvernance. Hélas, hélas, mille fois hélas! Conséquence, actuellement, les populations n’ont plus aucune confiance aux instances gouvernementales qui doivent appliquer la loi. Ceux-là mêmes qui sont les garants de l’État de droit foulent aux pieds le respect des règles et des lois. Je veux parler de l’injustice dans la justice. Je veux parler de la corruption à grande échelle au niveau des services d’ordre et de sécurité, à la police, la gendarmerie, l’armée. . La même corruption gangrène l’administration générale. C’est donc une maladie que le gouvernement légitime qui sortira de sélections devra combattre avec force, avec vigueur.
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Hommes d’Afrique: N’y avait-il pas des textes régissant et délimitant l’action de chacune des deux instances bicéphales de la transition?
Omer beriziky: Pas spécifiquement. Il y a la feuille de route mais celle-ci n’est pas explicite en la matière. Elle ne détaille pas grand-chose. Il aurait fallu un texte d’application de la feuille de route pour définir les rôles. Chacun aurait alors travaillé convenablement. J’ai demandé à plusieurs reprises une sorte de « Job description » mais il n’y a jamais eu de réponses. Je dis donc qu’il y avait un bicéphalisme déséquilibré parce que tout se décide à la Présidence. Les ministères de souveraineté relèvent de la Présidence pour ne pas dire qu’ils sont confisqués par celle-ci. Par exemple, la Justice, les Forces Armées, la Communication, l’Intérieur. La confection des Lois de la Transition était faite depuis le Ministère de l’Intérieur qui a souvent biaisé même la signification des Lois pour avantager ceux qui les ont initiés. Le décret 2013-593 du 6août 2013, qui est sujet à équivoque aujourd’hui a été initié et présenté par le Ministère de l’Intérieur.
Hommes d’Afrique: Que dit ce décret concrètement ?
Omer beriziky: Il s’agit du comportement que doivent avoir les chefs d’institutions lors de la campagne électorale a lorsque l’administration devrait être neutre. Pour ma part, j’ai essayé de respecter scrupuleusement l’éthique et les textes en vigueur ainsi que la feuille de route et le code électoral, notamment l’article 45 qui empêche les chefs d’institutions et les autorités administratives de s’impliquer dans la campagne électorale. Malheureusement ce décret a été piétiné et fait l’objet des contestations que vous avez pu constater. Pourtant il a été le fruit d’un consensus. Comment rétablir la confiance entre le gouvernement et la population aujourd’hui ? Je pense que le gouvernement qui viendra à l’issue de ces élections doit s’atteler d’abord à restaurer l’autorité de l’État. Il faut que l’État joue son rôle de protecteur des personnes et des biens. Il faut que les populations retrouvent la sagesse et l’autorité en l’État. L’État doit être la matrice autour de laquelle gravite l’ensemble de la structure sociale. L’État doit être un exemple de bonne gouvernance. J’espère que ceux qui vont gouverner demain auront cela à l’esprit. Les populations, le secteur privé et les partenaires traditionnels et techniques doivent être rassurés par ce gouvernement. Madagascar doit compter sur la scène africaine et mondiale. Vous avez parlé d’un rôle leader de votre pays dans l’avenir. Comment l’entrevoyez-vous ? D’abord notre position géographique, Madagascar est une place privilégiée avec 690 000 km2. C’est une grande île sur la voie de l’Asie et de l’Amérique mais aussi sur la voie de l’Europe en passant par le canal de Suez ou en doublant le cap de bonne espérance. Je pense que nous avons une position stratégique. Notre potentiel de richesses naturelles est important. Madagascar peut aussi devenir un leader grâce à sa flore et sa faune extraordinaires qui lui donnent un potentiel industriel et touristique. Madagascar peut offrir toutes les formes de tourisme: Le tourisme de découverte, le tourisme scientifique, le tourisme balnéaire, etc. Madagascar est le pays le plus peuplé de cette partie de l’Océan indien. Nous avons aussi du Pétrole. Des entreprises chinoises travaillent déjà dans ce champ. Aucune des îles sœurs de Madagascar ne recèle autant de richesses. La place de Madagascar devrait être celle d’un leader. Sa place ne peut être que celle-là si les gouvernants de demain en ont la volonté. Nous avons une population jeune et intelligente qui ne demande qu’à être formée. Nous bénéficions par ailleurs d’une diversité qui peut être un atout majeur. Si les gouvernants de demain le veulent, Madagascar peut vraiment être un pays leader. Il y a eu un incident dont on parle beaucoup. Il s’est produit samedi21 décembre, le lendemain du deuxième tour des élections présidentielles. Cet incident concerne Monsieur Camille Vital. Que s’est-il passé? Voilà quelque chose de véritablement regrettable. Nous n’avons pas encore terminé ces élections que l’on prend déjà une décision dont personnes ne connaît les tenants et les aboutissants. Le Général Camille Vital est un ancien Premier Ministre, ancien Ambassadeur, ancien candidat a l’élection présidentielle. C’est donc une personnalité importante de la Nation. A l’aéroport, d’Antananarivo, on lui interdit de monter dans l’avion alors qu’il s’apprête à embarquer pour l’Île Maurice où il veut se rendre pour des vacances. Et c’est un simple officier de police qui l’empêche de monter dans l’avion. L’officier de police en question, était incapable de me dire pourquoi il a fait cela quand je lui ai posé la question. Mais il m’a dit qu’il s’agit d’un ordre verbal donné au téléphone à son prédécesseur. Il n’y avait pas de document écrit sauf celui de son prédécesseur qui disait qu’il y avait un ordre verbal venant de la présidence qui interdit au Premier ministre Camille Vital et à son ancien directeur de campagne de sortir du pays. Et quand j’ai donné l’ordre au policier de laisser partir Monsieur Camille Vital, il n’a pas obtempéré
Hommes d’Afrique: C’est ce bicéphalisme dont vous parliez ?
Omer beriziky: C’est bien cela. C’est ainsi que cette transition a été gouvernée. Il y a là une forme de dictature qui ne dit pas son nom. C’est très regrettable parce que ce n’est pas fait pour apaiser l’opinion surtout pendant une période comme celle-ci. Il se trouve que Monsieur Camille Vital s’est rangé du côté de Robinson Jean-Louis, candidat à la présidentielle… Le président de transition soutient l’autre candidat, au vu et au su de tout le monde. Il y a un véritable dysfonctionnement qui affaiblit la gouvernance à Madagascar. Ce n’est pas seulement à moi que le policier a refusé d’obéir. Son propre ministre de tutelle, le ministre de l’intérieur, qui n’était pas au courant n’a également pas eu gain de cause. Voilà donc ce qui s’est passé.
Hommes d’Afrique: Si vous avez aujourd’hui un message à adresser aux Malgaches, quel serait-il?
Omer beriziky: Je voudrais d’abord dire ceci. Ces deux années de transition durant lesquelles j’ai dirigé le gouvernement dans le cadre de la feuille de route n’ont pas été des années faciles, n’ont pas été des années de repos. Il fallait un renoncement de soi. Parfois il fallait accepter l’inacceptable, avaler des couleuvres, comme dit le dicton. C’était deux années de sacrifice, d’abnégation mais également deux années qui m’ont permis de servir mon pays. Avec le peu de moyens que j’avais, avec la volonté d’arriver jusqu’au terme de la mission qui m’avait été confiée. Aujourd’hui, nous sommes presqu’au terme de cette mission. J’attends avec impatience de passer la main à mon successeur. Je voudrais que mon pays décolle au plus vite, le take-off dont parlent les économistes. Je voudrais que Madagascar progresse rapidement dans la légalité et la légitimité retrouvée. Au peuple malgache je voudrais dire ceci. Chacun peut avoir son opinion mais celle de la majorité doit toujours prévaloir. Nous devrons accepter le résultat des urnes. Nous devrons accepter le choix des électeurs. Et puis nous atteler demain, ensemble, à travailler pour le bien général du pays. Voilà le message que je voudrais adresser à la population malgache. A cette étape de notre histoire. Mais je voudrais aussi dire ceci, les élections ne sont pas une fin en soi. Apres les élections il y a autre chose qui est encore plus importante, c’est le développement du pays.
Hommes d’Afrique: Que ferez-vous après la Primature ?
Omer beriziky: Moi je ne peux pas vraiment préjuger du lendemain. Je ne sais pas. La logique veut que je revienne à mon poste d’enseignant à Tamatave. Je suis dans une situation de maintien. J’ai déjà demandé au Directeur du Département d’histoire de l’université de Tamatave s’il pouvait m’accorder une matière à enseigner. Il est d’accord…
Hommes d’Afrique: Quelle matière enseignerez-vous?
Omer beriziky: L’histoire. J’ai demandé à enseigner l’histoire des révolutions dans le monde. Ou encore l’histoire des royaumes Malgaches…Je reviendrai un peu dans la vie politique. Je ne sais pas trop comment mais pourquoi pas, si le pays a besoin de mes services. Je reste prêt pour servir Madagascar.