Qui contrôle l’Afrique ?
[quote]Les pays riches dépensent des centaines de milliards pour essayer de comprendre l’origine du monde en utilisant un savoir cumulé depuis l’antiquité, et formidablement développé ces trois derniers siècles. Ce savoir est le fruit d’une pensée analytique. Pour résoudre un problème, on le subdivise en sous problèmes plus simples. Cela a été productif en un foisonnement de disciplines dans un spectre des sciences dites « dures » et autres dites « molles ». C’est le paradigme dominant, la pensée analytique ou le réductionnisme qui nous amène des fois à savoir trop de choses sur peu de chose. Nous connaissons beaucoup sur la réalité physique qui nous entoure, et pratiquement rien sur la fabrication de la réalité et de sa dynamique qui émerge de nos interactions humaines à petite ou grande échelle.[/quote]
Malheureusement, cette dynamique est impossible à mettre sous forme d’équation. Intervient les sciences de la complexité qui consistent à l’étude des systèmes complexes composés d’un grand nombre d’éléments qui interagissent entre eux. Au lieu de chercher à comprendre la complexité d’un individu, on examine les règles d’interactions et de connexions entre les individus et le comportement émergent qui en découle. C’est une approche holistique, qui consiste à dire que le tout est plus que la somme des parties.
L’Afrique c’est plus que la juxtaposition de 54 pays, c’est plus que, juste 3 % du PIB mondial, c’est plus que « famille nombreuse, faible espérance de vie », c’est plus que la conjugaison de près de 2000 langues…, l’Afrique c’est plus qu’un gisement minier. Qu’en est-il alors dans un monde globalisé avec une forte volatilité et une dynamique émergente imprévisible, en partie à cause des inégalités économiques ? Un problème local à un impact global, c’est juste une question de temps.
Alors qui contrôle le monde ? Seul un noyau de 147 multinationales contrôle 40 % du chiffre d’affaires engendré au niveau mondial. En allant plus loin, 0,7 % des entreprises mondiales contrôle 80 % des richesses produites. Ce n’est pas le fruit d’une théorie de la conspiration, c’est le comportement émergent des règles simples des participations capitalistiques croisées associées au droit de vote dans le réseau complexe constitué des multinationales; expliquenttrois chercheurs de l’École polytechnique de Zurich dans une étude « The network of global corporate control ». La notion de « contrôle » peut être définie comme « la capacité d’un agent économique à imposer sa décision sur un autre », en l’occurrence un agent économique est un actionnaire.
Toutes ces entreprises, à travers le réseau des participations, ont des intérêts en Afrique. Les pays de l’ouest commencent à perdre timidement de leur influence économique au profit de la Chine et plus généralement de l’Asie. Cette tendance est constatée dans les chiffres du commerce extérieur. Viendra l’influence politique, et les leaders africains sont devant un choix entre le capitalisme privé, le modèle de l’ouest, et un capitalisme d’État, celui de la Chine.
Ces deux entités doivent-elles coopérer ou s’affronter ? La vérité est souvent floue et pas si binaire, elles ont choisi de coopérer pour s’affronter sur un terrain de compétition, l’Afrique. Les institutions de l’Union Africaine à l’image de celle de l’Union Européenne, du moins sur le papier, cela donnera-t-il une paix durable dans le continent? Premier objectif de l’UA et condition nécessaire pour un développement économique. Les communautés économiques régionales sont des organisations supranationales dont l’enchevêtrement donne un réseau complexe, par définition difficile à comprendre intuitivement et analytiquement. On peut légitimement se poser la question quels apports, dans le bien-être des Africains ses institutions et d’autres organes économiques et financiers apportent ? Quelles sont les règles qui régissent leurs interactions ? Quelle émergence pour l’Afrique ? Ce qui est bien dans l’Histoire, c’est qu’on y trouve des fois des réponses à notre réalité actuelle, mais on ne comprend pas encore le mécanisme par lequel cette réalité se fabrique. L’émergence, c’est justement l’une des propriétés caractéristiques des systèmes complexes. L’émergence africaine doit être d’abord scientifique. Il n’ y a pas de développement économique, politique et social sans la diffusion du savoir en particulier les Mathématiques et ses dérivées. Il faut saluer l’initiative du
Pr de Physique théorique, le Sud- Africain Neil Turock pour le lancement du projet AIMS « Africain Institute for Mathematical Science ». Il est regrettable de noter que seul l’Afrique du Sud et l’Égypte arrivent à placer des universités dans les mille premières mondiales. Le Monde est en 2.0, l’Afrique doit le prendre à partir de là pour se développer. Ce sont les scientifiques des pays développés qui nous prouvent que l’Afrique est le berceau de l’homo sapiens, « homme savant » en latin ou l’homme moderne caractérisé par, l’aptitude de son système cognitif à l’abstraction et à l’introspection, l’utilisation d’un langage articulé et élaboré pour l’apprentissage et la transmission du savoir. Le savoir 2.0 est disponible et est économiquement pas cher à acquérir et son retour sur investissement peut se révéler très important avec un pay-back assez rapide sur une macro échelle, les sciences de la complexité en font partie. Elles peuvent aider les décideurs d’aujourd’hui à obtenir les meilleures règles possible à mettre en place en fonction des objectifs qu’on veut atteindre. Après tout, la politique est l’art d’adapter une société à son environnement actuel et de mettre en place les réformes pour anticiper les changements à venir. Car l’histoire aussi nous apprend que seul le changement est pérenne. Le futur est difficile à inventer sans une pensée complexe. Pour ce faire l’approche ne doit plus être empirique, mais holistique. Autrement dit un changement de paradigme qui commence à devenir l’évidence et qui va s’imposer par lui-même.
L’Afrique peut et doit inventer son propre modèle, il peut être tout sauf imposé. Peut être le nouveau Einstein sera Africain. Mais aujourd’hui les Africains doivent utiliser le savoir développé au nord pour un développement sud-sud plus rapide. Les outils existent pour que les Africains aient une courbe d’apprentissage plus rapide et éviter les erreurs commises ailleurs, pour un bien-être économique, social et politique global plus diffus à condition que l’Africain prenne conscience avec humilité et modestie de la réalité de son pouvoir.
Hassan BALOUI est Associé dans deux cabinets internationaux de conseil. Il s’intéresse aux questions de développement des organisations par une approche qu’il définit comme holistique. Son spectre d’expertise va de la définition de la stratégie à la mise en place des changements opérationnels dans les organisations, en passant par la modélisation des entreprises et le calcul scientifique. Il Docteur en Mathématiques de l’École Normale Supérieure de Cachan en France.
[quote arrow=’yes’]« Réaliser une plus grande unité et solidarité entre les pays africains et entre les peuples d’Afrique », tel est le premier, parmi les quatorze objectifs de l’UA. Quelle que soit l’organisation que celle-ci cherche à mettre en place pour atteindre ses objectifs, elle ne peut prendre autre structure que celle d’un réseau. Avec 54 pays sur le continent, il y a 21 431 configurations possibles, si on ne compte que les pays signataires reconnus sur la place internationale, il y a 21 326 réseaux possibles. C’est juste un nombre inimaginable plus que le nombre d’atomes dans l’univers. La mission de l’UA est simplement difficile et complexe. Cependant le savoir 2.0 d’aujourd’hui peut simplifier cette complexité et aider l’Afrique à trouver la bonne, sinon la moins pire, topologie du réseau à mettre en place. L’Afrique doit s’auto-organiser pour émerger et sa nature est riche d’exemples dont on peut s’inspirer. Le graphite et le diamant contiennent les mêmes atomes, le carbone, organisés en deux réseaux différents avec des résultats complètement opposés.[/quote]